Esi Edugyan, les conférences Massey et l’écriture à 10 000 m d’altitude

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Gagnante du prix Giller pour 3 minutes 33 secondes et Washington Black, qui éclairent des histoires de Noirs de Berlin à la Barbade, la romancière tourne le dos à la fiction pour les conférences Massey de 2021, mais son art continue de nous faire voyager autour du monde.

Esi Edugyan écrit beaucoup en avion. Toujours en déplacement pour des activités littéraires et des conférences, la romancière née à Calgary et établie à Victoria a pondu une bonne partie de Washington Black, son roman historique de 2018 sur l’esclavage et la liberté, près d’un hublot. « On en vient à être dans sa bulle ; on met ses écouteurs, on lance la musique et les distractions disparaissent », résume-t-elle. Les chambres d’hôtel sont encore mieux : « Elles trônent au top. On commande un repas, on n’a pas à s’occuper du ménage et on se concentre sur ce qui se trouve devant soi. » Se retrouver chez elle depuis 18 mois, dans sa maison au bord de la mer, avec son mari et ses deux enfants, lui a demandé de s’adapter, mais elle a su trouver l’espace nécessaire pour peaufiner Out of the Sun: On Race and Storytelling, qui sera diffusé à CBC Radio dans le cadre des conférences Massey et publié à l’automne. Nous avons joint Mme Edugyan pour lui parler de l’écriture en voyage, de l’influence des lieux sur l’identité et de ce sur quoi elle travaille.

enRoute Les lieux jouent un grand rôle dans vos romans. Voyager fait partie de vos recherches ?

Esi Edugyan Je voyage presque toujours pour des raisons liées au monde du livre, mais pas trop pour mes recherches : pour ça, je fais beaucoup de lectures et de séances de cinéma. D’habitude, j’ai l’occasion d’aller donner une conférence ou assister à un festival. Ce qu’il y a de bien avec l’écriture, c’est qu’on est parfois invitée à aller dans un endroit qu’on n’aurait pas envisagé de visiter, ce qui est passionnant.

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*Out of the Sun: On Race and Storytelling*, d’Esi Edugyan    

ER Out of the Sun est en partie un récit de voyage, écrivez-vous dans l’intro. En quoi ?

EE Le livre est organisé de façon géographique et explore des récits de Noirs et des histoires qui ont peu circulé. Ainsi, un texte porte sur le Canada et sur le fait que nos histoires collectives de fantômes parlent rarement de gens qui ne sont pas de descendance européenne. Un autre parle de l’afrofuturisme et de l’Afrique de l’Ouest, car c’est mon héritage, et il y en a un sur l’Asie qui aborde, par exemple, l’absence de tout contact entre le Japon et l’Afrique jusqu’au XVIe siècle, même si des commerçants arabes et européens s’y rendaient et en revenaient avec des histoires de négritude. Donc, que se passe-t-il quand ces histoires circulent avant les premiers contacts ? Et nombre des textes ont des liens personnels ; j’y parle de mes séjours en Chine, par exemple, et de ce que j’ai ressenti.

ER Qu’espérez-vous qu’un lecteur retire d’Out of the Sun ?

EE Une première lectrice a commenté : « J’ai appris tellement de choses que j’ignorais ou auxquelles je n’avais pas réfléchi. » Ça m’a ravie, qu’elle en retire un sentiment plus riche de l’histoire des Noirs.

ER Vous avez reçu des bourses et fait des résidences autour du monde ; où va-t-on pour écrire ?

EE J’ai déjà fait une résidence dans l’est de l’Islande, dans une énorme demeure à la campagne. C’était très isolé, et je pensais que ce serait propice à l’écriture, mais c’est devenu comme dans Shining : L’enfant lumière : à chaque craquement j’avais la tête qui tourbillonnait, et je n’ai pas beaucoup écrit. Et j’ai fait une résidence de création à Stuttgart, en Allemagne, dans une maison qui grouillait de gens de partout, et j’ai trouvé que j’écrivais super bien.

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ER Dans un texte de 2018 sur votre premier voyage au Ghana, vous avez écrit vous être attendue à être plus chez vous au Ghana qu’à Calgary, avec ses rodéos et ses champs de blé, et en être revenue avec « l’impression d’être moins ghanéenne que jamais ». Quelle influence les lieux ont-ils sur l’identité ?

EE Ils ne peuvent faire autrement que de nous façonner. Malgré l’absence d’un sentiment d’appartenance, j’ai été modelée par ces champs et ces rituels, ne serait-ce que parce qu’ils ont créé en moi un sentiment de non-appartenance. Cela dit, chaque fois que je vais à l’étranger, je ressens ma canadianité, très vivement. Ma canadianité de l’Ouest, en fait. Je m’étonne toujours à quel point le lieu et le pays de ma naissance m’ont marquée, et de ce que ça implique les diverses facettes de la différence que je ressentais en grandissant. J’en suis venue à l’accepter ; c’est juste une part de mon identité.

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ER Quelles destinations font partie de vos préférées au Canada ?

EE Dans les Prairies, j’ai un faible pour Winnipeg. À mon dernier séjour, je suis allée au Musée canadien pour les droits de la personne : spectaculaire. J’ai vécu un an à Toronto, il y a une vingtaine d’années, et j’y suis heureuse. Eastport, à Terre-Neuve-et-Labrador, est magnifique, et les gens y sont très irrévérencieux, drôles et chaleureux. Et chaque année, je vais en famille à Parksville, en Colombie-Britannique, qu’on adore. C’est une ville remarquablement paisible et jolie.

ER Et ensuite ?

EE Je mets la dernière main à un album illustré pour enfants. Puis j’espère me remettre à mon roman. J’avais écrit plusieurs pages avant de recevoir l’appel des gens des conférences Massey. J’ai donc dévié de ma route, mais j’ai hâte de redévier.

Esi Edugyan

Questionnaire

  • Essentiels à bord J’ai toujours un livre. Présentement, je lis les mémoires de la photojournaliste Lynsey Addario, Tel est mon métier.
  • À voir absolument Des tas d’endroits. En voici trois : la Croatie, l’Afrique du Nord et l’Argentine. Ah, et j’ai toujours voulu aller à Cuba. Ça fait quatre.
  • Voisin idéal en avion Quelqu’un de très tranquille. Ou, au contraire, un merveilleux conteur.
  • Premier souvenir de voyage Chaque été, ma famille faisait le trajet de trois heures vers Edmonton pour rester chez des amis. Ça me paraissait interminable, et j’emportais 10 livres, genre, plus mon Discman. Mais on faisait toujours un arrêt crème glacée à Cochrane ; c’était magique.
  • Souvenir préféré J’ai des pantoufles et un foulard qu’on a achetés sur un marché à Dubaï. Mon mari marchandait avec un jeune homme tout à fait excessif, qui essayait de nous vendre tout ce qu’il avait sur son étal, 
et tout le monde était hilare. Chaque article que je possède et auquel je suis attachée a une histoire.

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