LGBTQ+ voyage: On a en parcouru du chemin, et on continue sur notre lancée
Notre journaliste nous fait part de ses expériences de voyage en tant que femme queer, et discute du passé, du présent et de l’avenir du tourisme LGBTQ+ avec des experts de l’industrie.
«Notre hôte sait que nous formons un couple?»
Alors qu’on se rapproche de notre Airbnb, dans l’Australie rurale, je sens une boule se former dans mon ventre.
«Moi non plus, j’ai pas un bon pressentiment», me répond ma blonde. «Mais, que faire? On a déjà payé. Reste dans la voiture, alors que je vais aller nous enregistrer.»
Je n’ai jamais eu à me préoccuper de ce genre de chose, auparavant. J’ai entrepris ma première relation avec une conjointe du même sexe, alors que j’étais dans la trentaine, à un âge où j’avais déjà visité plus de 30 pays, dont la Guyane, où l’homosexualité est illégale. (C’est l’un des quelque 70 pays qui criminalisent les unions homosexuelles et où l’expression de l’identité transgenre est punie par des peines, allant de la prison à la mort.)
Avant, mes vacances s’apparentaient à une pub sur un bus. Vous voyez le topo : un homme et une femme cisgenres, presque toujours des Blancs, qui déambulent sur la plage, insouciants. En comparaison, voyez plutôt… la dernière fois que je me promenais sur la plage avec ma conjointe, un inconnu nous a dit que nous étions «dégoûtantes» et que nous devrions quitter «sa» ville.
Alors, la peur de m’enregistrer dans un Airbnb? Par expérience, je sais que ce n’est pas totalement sans fondement.
Le chemin parcouru
Pour les voyageurs et les voyageuses LGBTQ+, chaque fois qu’on s’enregistre dans un hôtel ou qu’on se joints à un groupe de touristes pour une visite guidée, soit on pratique la divulgation involontaire (outing), soit on ment. Près d’un quart des personnes queers qui voyagent essaient de cacher leur orientation sexuelle en vacances, selon un récent sondage effectué par Virgin Holidays, un voyagiste du Royaume-Uni. Toujours selon le même sondage, un tiers des gens de la communauté LGBTQ+ font face à de la discrimination, qu’on les dévisage, qu’on se moque d’eux ou qu’on les abuse verbalement.
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Cependant, malgré tous ces obstacles, les personnes queers sont parmi les voyageuses les plus avides du monde. Près de 86 percent des Canadiens et des Canadiennes LGBTQ+ possèdent un passeport valide, comparé à 65 percent dans l’ensemble de la population. Et, nous les utilisons. Dans une enquête menée en 2021 auprès de plus de 6000 répondants, l’International LGBTQ+ Travel Association (IGLTA) a constaté que les voyageurs et les voyageuses LGBTQ+ seront les plus susceptibles de partir après la pandémie, 73 percent d’entre eux et elles prévoyant faire un voyage important au cours de l’année prochaine.
Au Canada, le marché du tourisme queer est estimé à 12 milliards $, alors qu’il se situe à 218 milliards $ à l’échelle mondiale. Et, pour s’accaparer ce segment, d’innombrables pays, dont la Colombie, Israël et le Brésil se positionnent en tant que destinations accueillantes pour les communautés LGBTQ+. Un autre exemple, l’État de Virginie qui joue adroitement sur son slogan des 53 dernières années : «La Virginie aux amoureux» (Virginia is for Lovers) dans une campagne de tourisme inclusif illustrant lesdits «amoureux» par des lesbiennes, des gays, ainsi que des familles, des couples et des amis transgenres. Des marques s’investissent également dans le marché du tourisme inclusif LGBTQ+. Entre autres, Disney organise son propre événement de la fierté, avec tout le matériel promo. (Fait amusant : la Souris Mickey a fière allure dans son short aux couleurs de l’arc-en-ciel.) Puis, il y a la chaîne d’hôtels de luxe SO/ qui offre des salles de bain unisexes dans ses halls, ainsi que des accessoires «Pour Lui & Lui» et «Pour Elle & Elle» dans ses chambres.
Les compagnies aériennes proposent aussi des aménagements. En mars 2019, United Airlines a été le premier transporteur à offrir des options de réservation non binaires (mais ce n’est qu’en octobre 2021 que les États-Unis ont rejoint des pays comme le Canada, l’Argentine et le Népal en délivrant leur premier passeport ayant une désignation de genre «X»). Depuis, la plupart des grandes compagnies aériennes ont suivi la tendance, incluant Air Canada, laquelle a également changé sa formule de salutation à bord, passant du «mesdames et messieurs» à «tout le monde», plus respectueux pour l’égalité des sexes.
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Même dans le secteur du voyage d’aventure, longtemps dominé par des hommes blancs hétérosexuels, des voyagistes commencent à organiser des groupes LGBTQ+. En 2022, Holiday River Expeditions – qui organise des voyages de rafting en Utah, au Colorado et en Idaho – a annoncé qu’elle allait offrir des itinéraires plus accueillants pour les communautés LGBTQ+. «Les queers font partie du paysage depuis longtemps, mais nous étions invisibles», déclare Lauren Wood, directrice des voyages de Holiday River Expeditions, laquelle s’identifie en tant que femme queer, lesbienne, non binaire. Selon iel, les nouveaux itinéraires exclusifs LGBTQ+ sont le résultat d’une meilleure diversité dans les postes de direction et du nombre croissant de zones neutres (safe spaces).
Et maintenant, on continue sur notre lancée
Mais, il reste encore beaucoup de boulot à faire.
Quand j’ai appelé Rob Taylor – un blogueur qui raconte ses voyages avec son mari et leurs deux fils sur 2TravelDads.com –, il m’a annoncé que c’était son anniversaire de mariage et qu’il cherchait une excursion pour célébrer l’événement, mais que tout ce qu’il trouvait était vraiment axé vers des offres aux «visuels à saveur mari et femme».
«Il est facile d’identifier les entreprises touristiques qui font de véritables efforts. Mais, même si on est en 2022, pour une raison quelconque, il y a encore peu d’images de couples LGBTQ+.
Et ce qui est tout aussi déplorable en marketing touristique, c’est quand les visuels qui désirent montrer la diversité queer alimentent plutôt les stéréotypes du gay blanc musclé, torse nu. «La communauté LGBTQ+ n’est pas un bloc monolithique. En tant que lesbienne d’âge mûr, je suis vraiment différente d’une personne noire de 21 ans, au genre non conforme», explique Tanya Churchmuch, présidente de MuchPR, une firme de relations publiques spécialisée en voyages-boutiques et en accueil LGBTQ+.
Pour être efficace, le marketing touristique LGBTQ+ doit reconnaître l’intersectionnalité, à l’instar de Destination Porto Rico et sa nouvelle campagne Live Out. Lancée cette année, la pub met en scène une famille transsexuelle, des lesbiennes et des couples queers noirs –, dans le but de faire de Porto Rico la capitale LGBTQ+ des Caraïbes et l’une des destinations LGBTQ+ parmi les plus accueillantes du monde.
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Hélas, la diversité de façade (pink washing) prolifère encore trop souvent. Il est facile d’afficher un arc-en-ciel sur un site web durant le Mois de la fierté gay. Ce qui est plus difficile, c’est de bien saisir et d’évaluer les défis, les risques et les besoins spécifiques de la communauté LGBTQ+ en matière de voyage, notamment la très grande probabilité d’affronter discrimination et violence. Au pays, il y a 65 percent des Canadiens et des Canadiennes queers ainsi que 75 percent des transgenres et des genres non conformes qui citent la sécurité comme principale préoccupation, lorsqu’ils ou elles voyagent.
Toutefois, ces changements doivent venir de l’intérieur.
«L’industrie dans son ensemble n’est pas suffisamment diversifiée», affirme Danny Guerrero, fondateur de la firme de marketing The Culturist Group, qui aide les marques dans le domaine touristique à améliorer leur diversité. «Comment peut-on commencer à plaider [pour des politiques et du marketing inclusifs LGBTQ+] quand les personnes qui mènent le bal ne comprennent pas les enjeux? »
C’est la raison pour laquelle, en 2020 et 2021, HR Tourisme Canada – une organisation nationale qui s’efforce de résoudre les problèmes liés au marché du travail dans le secteur du tourisme – a collaboré avec la Chambre de commerce LGBTQ+ du Canada (CGLCC) pour offrir 81 ateliers gratuits axés sur la création de lieux de travail plus inclusifs pour les LGBTQ+ au sein de l’industrie du tourisme et de l’accueil. Et, en décembre 2021, le gouvernement canadien a annoncé consacrer 67 millions $ pour soutenir ladite industrie du pays – ce qui contribuera à soutenir les efforts visant à accroître la participation des groupes qui sont sous-représentés sur le marché du travail, y compris les Canadiens et les Canadiennes LGBTQ+.
Le pouvoir de transformation des voyages LGBTQ+
Mais qu’elles que soient les avancées en marketing ou en diversité chez les voyagistes, il reste toujours l’épineuse question de la légalité. Il est particulièrement controversé de boycotter une destination en fonction de ses bilans en droits humains, même si l’IGLTA a adopté une position claire sur le sujet. «Bien qu’on ne condamne pas les boycottages, il est préférable de bâtir des ponts», déclare John Tanzella, président et directeur général de l’IGLTA. «Si vous n’êtes pas visibles [dans une destination], rien ne changera jamais.»
M. Tanzella met le doigt sur un élément crucial. Le tourisme peut avoir un pouvoir de transformation. Il peut également entraîner des changements sociaux et, ultimement, des changements législatifs. (Après tout, les entreprises en marketing touristique sont généralement financées par le fédéral, ce qui signifie qu’elles représentent des intérêts gouvernementaux). C’est du moins ce qu’on souhaite pour des destinations telles la Thaïlande, où des activistes ont souligné que la campagne touristique LGBTQ+ Go Thai, Be Free était hypocrite par rapport à l’échec récent du gouvernement de légaliser le mariage des personnes du même sexe.
«Une industrie touristique plus inclusive offre des avantages à tous les touristes, pas qu’aux LGBTQ+», affirme Billy Kolber, cofondateur de HospitableMe, organisme qui participe à l’éducation des marques et défend des stratégies inclusives en matière d’accueil.
«Peu importe qui nous sommes, nous voulons tous être traités avec respect. Nous aspirons tous à la romance, à l’évasion, à l’immersion culturelle», ajoute-t-il. Alors que nous examinons les promesses de l’industrie de se reconstruire plus adéquatement après la pandémie, la ligne directrice sera de rebâtir une industrie touristique plus inclusive et plus accueillante.»
Pour ma part, j’ose croire que l’avenir du tourisme repose sur l’inclusion comme seconde nature, une industrie où la sécurité est primordiale pour tout le monde, et où plus personne n’aura plus à rester dans la voiture.